Comment être chrétien « dans le monde de ce temps » – Quatre témoins historiques

Chaque année, pendant les temps de l’Avent et du Carême, nous organisons des soirées de formation les jeudis soirs, de 20h30 à 22h. Le thème de cette formation Théophile s’inspire du sous-titre de la constitution pastorale Gaudium et spes sur « l’Église dans le monde de ce temps » (Vatican, 1965).

Lorsqu’il convoque le concile Vatican II en 1959, le pape Jean XXIII appelle à « un sain renouveau (rinnovamento) des coutumes du peuple chrétien et une mise à jour (aggiornamento) de la discipline ecclésiastique selon les besoins de notre temps » . Au cours de son histoire, l’Église a connu plusieurs grandes réformes. Pour ne citer que les plus importantes : la réforme grégorienne au 11e siècle, le concile de Trente au 16e siècle et le concile Vatican II au 20e siècle. Aujourd’hui, le synode sur la synodalité prolonge cette histoire.

Quelle attitude spirituelle adopter pour un esprit de réforme « dans » l’Église ? Il s’agit de créer les conditions favorables à une conversion des cœurs pour mieux témoigner de l’Évangile. Cette conversion pourra se traduire dans des changements, mais là n’est pas l’essentiel. Pour nous en rendre compte, regardons ce qu’il en fut lors de la grande réforme du 20e siècle, le concile Vatican II. Nous avons retenu quatre témoins historiques : Marie-Joseph Congar, Pierre Teilhard de Chardin, Jacques Maritain et Henri de Lubac.

Ces quatre auteurs sont d’abord des disciples du Christ et des fidèles de l’Église catholique. Ils écrivent avec un vrai désir de fidélité à l’Évangile, à l’Écriture Sainte et à la Tradition, quand ils cherchent à préciser la nature et la mission de l’Église ou à exprimer la foi pour les hommes d’aujourd’hui. Leurs questionnements et les débats qu’ils suscitèrent sont anciens mais ils ne sont pas éloignés des questions et des débats qui agitent l’Église aujourd’hui. Leurs travaux peuvent nous aider à penser aujourd’hui, avec le recul nécessaire.

23 novembre – Marie-Joseph Congar, dominicain (1904-1995)

Marie-Joseph Congar fut l’un des théologiens et des rédacteurs du concile Vatican II, particulièrement consulté pour ses compétences en ecclésiologie et en œcuménisme. Au 20e siècle, l’Église ne pouvait faire l’économie d’un travail sur elle-même pour redéfinir sa nature et sa mission et pour réformer ce qui en elle y contrevenait. Son livre Vraie et fausse réforme dans l’Église, publié en 1950, contribua à faire de lui un interlocuteur incontournable pour différencier ce qui vient du Christ par la tradition apostolique (la Tradition) de ce qui peut évoluer (les traditions). Jorge Mario Bergoglio, l’actuel pape François, s’inspira de ce livre pour réformer la province jésuite d’Argentine. Le père Congar fut créé cardinal en 1994.

7 décembre – Pierre Teilhard de Chardin, jésuite (1881-1955)

Pierre Teilhard de Chardin fut un géologue et un paléontologiste éminent, reconnu comme tel par ses pairs scientifiques. Il adhéra sans réserve au principe de l’évolution, tant biologique que cosmologique, qu’il chercha passionnément à articuler avec sa foi dans le Christ. En dehors de ses nombreuses publications scientifiques spécialisées, il produisit une œuvre imposante, à la fois fascinante et dérangeante, exprimant sa tentative de synthèse entre sa vision évolutionniste et la foi chrétienne. Il voulait affranchir la doctrine chrétienne de ce qu’il y avait de « fixiste », selon lui, dans son expression. Il ne fut pas autorisé à publier ses ouvrages extra-scientifiques de son vivant, et son œuvre, publiée à titre posthume, fut l’objet d’enthousiasmes et d’oppositions passionnés. Même si la pensée de Teilhard présente des aspects contestables, elle offre des perspectives suggestives et soulève des questions toujours actuelles.

14 décembre – Jacques Maritain, philosophe (1882-1973)

Né dans un milieu protestant agnostique, Jacques Maritain s’est converti à la foi catholique à l’âge de 24 ans, avec sa femme Raïssa, sous l’influence de Léon Bloy. Après avoir suivi les cours de Bergson, il découvrit avec enthousiasme l’œuvre de Thomas d’Aquin, dans la continuité de laquelle il s’inscrivit définitivement, mais en tant que philosophe, et sans se vouloir théologien. Il fut l’un des figures les plus éminentes de l’intelligentsia catholique, notamment entre les deux guerres, Ami de Paul VI, il reçut de ses mains, à l’issue du Concile Vatican II, le Message du Concile aux intellectuels. Ayant critiqué certains aspects de la pensée de Teilhard de Chardin, la considérant davantage comme vision poétique que comme philosophie rigoureuse, Maritain parut quelque peu discrédité aux yeux des partisans de Teilhard, et notamment de nombreux jésuites. Mais, en arrière-plan, il y avait également la volonté d’une partie notable des théologiens et intellectuels catholiques de s’affranchir d’un thomisme « scolastique » souvent doctrinaire, jugé dépassé et devenu étouffant. D’où la séduction « moderniste » de la pensée teilhardienne. De fait, la question de la place doctrinale à faire, en philosophie et en théologie, à l’héritage thomiste reste pleinement actuelle.

21 décembre – Henri de Lubac, jésuite (1896-1991)

Henri de Lubac fut l’un des théologiens et des rédacteurs du concile Vatican II. Il est reconnu pour ses travaux sur le mystère de l’Église : Catholicisme, Corpus mysticum et Méditation sur l’Église – dont le Paul VI aimait à citer la phrase : « L’Église fait l’eucharistie et l’eucharistie fait l’Église » – mais aussi sur les religions non chrétiennes et l’athéisme, avec le livre Le Drame de l’humanisme athée, fruit de sa réflexion sur les totalitarismes. Surnaturel, publié en 1946, suscita de vives polémiques dans une Église encore en proie à la crise moderniste. Il fut considéré comme la figure de proue de la « Nouvelle théologie » qui cherchait à s’affranchir du thomisme par un retour aux sources. C’est ainsi qu’il fut l’un des fondateurs de la collection « Sources chrétiennes » qui publièrent les Pères de l’Eglise. Henri de Lubac fut créé cardinal en 1983.

Illustration : Synod on the Family © Mazur/catholicnews.org.uk (CC by-nc-nd)